Comment dire ? Humm, Emma ? C’est une femme pure et dure. C’est une passionnée de la route comme on en rencontre rarement. Toujours à bord de son Scania préparé, avec boîte mécanique et volant 3 branches s’il vous plaît. Et elle sait où elle va dans la vie, à la tête de sa petite entreprise…
C’est l’histoire d’une jeune fille qui n’était pas forcément bien mariée avec les études, même si elle tente un BTS transport. Les chiffres, les plannings, les dossiers, en somme la paperasse, ce n’est pas trop pour elle. Dans sa tête, il y a des envies : celles de bouger et d’être autonome. Quitte à se faire peur et à être confrontée à ses propres doutes de femmes. Cantonnée au départ dans un rôle administratif d’organisation de planning pour 30 chauffeurs de toupies béton, elle commence à fréquenter le milieu des chantiers en passant ses vendredi après-midi à bord comme passagère.
Du coup, lui prend l’envie de sauter le pas et devenir chauffeur à son tour, pour avoir le plaisir d’être tranquille et surtout autonome. Avec une volonté à toute épreuve, elle passe ses permis poids lourds à l’âge de 23 ans et débute chez un patron locatier. L’occasion de commencer à s’exercer sur plusieurs configurations de véhicules, porteurs 6×4 et 8×4, de 26 et 32 t. Mais aussi sur tracteurs semi-benne 2 essieux de 38 t et 3 essieux 40 t. Les porteurs qu’elle appelle les 6 roues, où elle fait du « brouettage », sont des Actros Mercedes ou des vieux MAN F2000. En tracteurs semi-bennes, elle conduit principalement des 4×2. Dans le paysage des chauffeurs de cette boîte, elle fait office d’extra terrestre mais elle côtoie des vieux de la vieille, des plus de 55 ans, qui vont la former et la rassurer.
Elle se rend aussi rapidement compte que tout ne va pas être rose dans ce métier. Il y a toujours celui qui veut vous mettre des bâtons dans les roues parce que vous êtes une fille. Alors, parfois, elle craque entre deux tas de cailloux. Mais elle tient le coup et sait remonter à temps la pente. Certains sont heureusement des gentils et veulent toujours l’aider quand il faut débâcher ou décharger plus vite.
L’horizon s’éclaircit
Exit les années à supporter le caractère des uns et des autres, dans le TP, en céréalière, bâchés ou en citernes à « pulvé » bennable pour vider en gravité. Marre aussi de tourner en rond sur 3 départements, entre la Seine-Maritime, l’Eure et l’Eure-et-Loir. Place à la liberté, à l’autonomie, aux déplacements aux longs courts. Elle franchit le pas et crée sa boîte. Elle choisit Step comme nom (Société de transport Emmanuelle Picard).
Pour la première année, elle fait dans le contrat de location, un DAF suivi d’un Scania R450 Topline tout noir, boîte robotisée et remorque open Box C+ extensible, en traction chez ATF. Puis elle casse sa tirelire pour s’offrir le Scania de ses rêves, mais cette fois ci, un R500, cabine courte, boîte mécanique avec remorque-plateau extensible Nooteboom.
“ De toutes les manières, c’était mon but de rouler un jour dans mon propre camion. Et pas n’importe lequel. Je voulais une marque au top. Et puis je me suis battue pour avoir un des derniers Scania sortis de l’usine d’Angers avec une boîte de vitesses mécanique. Et une couleur unique « jaune » noir et blanc, Sunny Yellow chez eux …. Côté motorisation pas de V8 mais un bon vieux 6 cylindres à plat de 500 ch, bien suffisant pour tirer ma remorque 3 essieux directionnels réceptionnée pour 60 t. Et extensible de 8 m à 22 m pour les plus longs colis. Comme les gros tuyaux réservoir Tubao. Je peux aussi embarquer deux fourgons plateaux Iveco Ducato à partir du Rhône-Alpes jusqu’à un fabricant Normand de campings cars “, détaille Emma.
Que des bons souvenirs
Et pour son dernier véhicule, elle veut un camion « Old School », personnalisé extérieur et intérieur, qu’elle prépare le week-end avec ses potes. On retrouve le logo Super sur sa calandre tout comme les premiers V8 Scania Série 143 de 1987. Elle veut aussi une galerie de toit et les échelles qui vont avec. Tout cela coûte cher et ça prend du temps.
Alors il faut rouler le max. pour gagner assez. Et ne pas faire n’importe quoi au niveau du prix/km. “ La passion c’est un tout. Et je veux la vivre à fond. Je conduis au son du moteur, toujours bien concentrée sur la route. Je considère qu’un camion, ça doit se maîtriser. Une boîte robotisée supprime beaucoup de plaisir. Mais c’est la tendance. Les chauffeurs sont de moins en moins des passionnés. Ils sont devenus des chauffeurs casse-croûte. C’est dommage, je regrette le bon vieux temps des vrais routiers qui partageaient leur passion de conduire à la force du bras leurs gros trucks ”, s’exclame Emma.
Voir ailleurs
L’international. Voilà à quoi rêve Emma, allongée sur sa couchette, regardant des photos de son dernier “trip” en Suède. Que du bonheur, l’accueil chaleureux, la propreté des installations, les paysages à couper le souffle, le grand respect des transporteurs en règle générale et en particulier de ceux qui viennent de loin.
Et le retour au pays fut difficile. Au premier routier ouvert en France, où elle retrouve les mêmes “gueulards” sur la situation, sur leurs patrons, sur leur avenir. “ La profession de routier se déshumanise, c’est grave et c’est dommage. Il n’y a plus de respect des matériels, ni de vrais responsables dans les boîtes de transport. Il faut trouver des corvéables à pas chers. Moi je suis seule à décider de mon planning, de mes clients et de la tarification. Tout a un prix : le matériel comme des règles de vie. Je prête aussi une grande attention à la sécurité. La mienne mais aussi ceux qui travaillent autour de mon camion pour décharger. Par exemple ma remorque est équipée de crochets de verrouillage avec un arrimage des conteneurs par le bas ”, ajoute Emma.
En attendant à l’arrêt ce soir, bien installée dans la cabine de son Scania tout neuf, elle sait qu’elle va revoir pour une soirée quelques bons potes pour partager deux ou trois histoires de chauffeurs. Ces solitaires s’enfonçant dans l’horizon en fredonnant, « I’m a poor Lonesome driver… ».
« LA LIBERTÉ ÇA SE PAYE AU PRIX FORT. SURTOUT QUAND VOUS FAÎTES RÉGULIÈREMENT FACE À DES MACHOS DE LA PREMIÈRE HEURE. MAIS HEUREUSEMENT, LA PLUPART DES CHAUFFEURS QUE JE RENCONTRE SONT DES BONS ET JOYEUX COMPAGNONS DE ROUTE».